Migraines, acouphènes, tachycardie : l’éolien, ce fléau pour la santé
Par Marie de Greef-Madelin – Publié le 14/02/2020 Valeurs actuelles
Reportage. Le vent souffle. Sylvie soupire, prend sa tête entre les mains. Des mois qu’elle subit des bourdonnements d’oreille, des migraines, des crises d’angoisse… Le village où elle vit depuis dix-huit ans, Dizy-le-Gros (Aisne), est encerclé d’éoliennes : plus de 200 mâts pour 750 habitants. D’où que l’on vienne, de Reims, Laon, Rethel ou Montcornet, des mâts d’acier se dressent à 200 mètres au-dessus du sol. « La nuit, avec tous les flashs lumineux, on a l’impression de vivre dans un sapin de Noël », s’emporte cette animatrice commerciale de la grande distribution. Âgée de 51 ans, elle est en arrêt maladie depuis un an. Ces derniers mois, dans le village, l’inquiétude monte. La colère aussi. Son voisin Antoine, qui se plaint de « vertiges et de tachycardie ». Fanny, prise régulièrement « de migraines et de bourdonnements d’oreille ». Et puis Christine, qui s’interroge sur les origines du cancer du péritoine de sa mère et du cancer de la gorge de son frère. Ou encore Josiane, qui reçoit des décharges électriques dans les jambes quand elle se promène dans son jardin.
« La nuit, on a l’impression de vivre dans un sapin de Noël » Tous serrent les rangs derrière l’association SOS Danger Éolien pour dénoncer « le scandale sanitaire ». L’heure est au recensement : « J’ai rassemblé près de 200 témoignages dans un rayon de 10 kilomètres. J’ai toutes leurs attestations Cerfa », dit Valérie Bernardeau, la présidente de l’association. Son mari est médecin de campagne à Marle, à une dizaine de kilomètres de là. Il est catégorique : « Le syndrome éolien, qui se caractérise par une fatigue extrême, des migraines, des acouphènes, de la tachycardie, c’est une réalité. » Après un long silence, le Dr Bernardeau poursuit : « La relation de cause à effet entre les éoliennes et le cancer est difficile à établir ; mais une chose est sûre, leur nombre a explosé dans le canton. » Sur la route de Dizy-le-Gros à Mont-cornet, Valérie Bernardeau roule à toute vitesse. De part et d’autre de la chaussée, des lignes électriques enterrées, l’une de 90 000 volts, l’autre de 140 000 volts. Le long d’un champ de 42 éoliennes, la présidente de l’association dénonce publiquement « la proximité immédiate des mâts avec la route ». Elle gare sa voiture à une intersection. La distance avec le premier mât n’excède pas 80 mètres. Le bruit est infernal. La pale tourne à 300 kilomètres-heure en son extrémité. Lorsqu’elle passe devant le mât, elle déclenche une compression de l’air. D’un point de vue scientifique, ces vibrations fabriquent une impulsion infrasonique : les fameux infrasons, que produisent dans une moindre mesure les ventilateurs, les machines à laver, les séchoirs, les groupes électrogènes, les centrifugeuses à béton, les broyeurs… Selon le site officiel de la médecine du travail, ces infrasons sont « très peu nocifs s’ils sont passagers et de faible intensité ». En revanche, en cas d’exposition longue et/ou de forte intensité, ils produisent « des effets délétères » (sic) qui vont, selon le site officiel, d’acouphènes à des céphalées, en passant par des tachycardies, une augmentation de la pression artérielle… « C’est du délire, le droit du travail reconnaît que les infrasons peuvent nuire aux salariés, mais pour les riverains qui vivent autour des éoliennes, rien ! », poursuit Valérie Bernardeau, qui a écrit au préfet des Hauts-de-France et à l’agence régionale de santé (ARS) pour demander qu’une étude épidémiologique soit réalisée. Elle n’a jamais reçu de réponse.
Le début de la descente aux enfers pour 130 vaches laitières
L’Académie de médecine a une autre analyse. Patrice Tran Ba Huy, auteur d’un rapport de l’Académie publié en 2017, démontre que l’éolien terrestre « affecte à travers ses nuisances sonores et surtout visuelles la qualité de vie d’une partie des riverains et donc leur bien-être physique, mental et social ». L’Académie a demandé, en vain, une distance minimale de 1 500 mètres entre les éoliennes et les habitations, contre 500 mètres actuellement (arrêté du 26 août 2011). À titre de comparaison, le Canada a fixé une distance minimale de 2,5 kilomètres, les États-Unis de 2 kilomètres, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, premiers producteurs du monde, de 1,5 kilomètre… Les déboires sanitaires dans les campagnes ne s’arrêtent pas là. Les animaux aussi souffrent. « En 2011, un parc éolien s’est installé à 1,8 kilomètre de mon exploitation, raconte Yann Joly, éleveur au Boisle. Le début de la descente aux enfers pour mes 130 vaches laitières. » Toutes des holsteins, première race laitière de France, qui peu à peu se sont mises à moins manger et à moins boire. « Certains jours de grand vent, elles ne buvaient que 10 litres au lieu de 100 litres habituellement. » Sa production laitière a chuté en trois ans de 9 000 à 2 000 litres. « Je me suis plaint mais j’ai reçu des menaces : mon tracteur a brûlé sans que je puisse me l’expliquer, et des gens ouvraient les barrières des pâturages pour que mes bêtes se sauvent. » L’agriculteur a fini par cesser son activité d’élevage pour se concentrer sur la culture de céréales. Mais il a attaqué en justice la société Enercon, un géant allemand promoteur d’éoliennes, estimant avoir subi un préjudice de 150 000 euros « J’ai des dettes partout. Voilà les conséquences » , dit-il. Un défenseur de l’avifaune apporte un autre éclairage. Il explique que les éoliennes ont fait fuir les oiseaux du courant migratoire, « à commencer par les cigognes qui venaient par centaines s’abreuver dans les marais de Pierrepont ».
Après avoir hésité, Gilles Geoffroy, conseiller municipal à Puisieux-et-Clanlieu, dont la femme souffre d’acouphènes sévères, prend la parole : « Quand EDF Renouvelables est venu nous présenter le projet d’implantation de trois éoliennes, tout le conseil était ébloui. » Le maire Jean Grenier s’est rapidement laissé séduire. Un mirage : sur les photos du dossier, les éoliennes paraissent microscopiques. Manière de présenter le projet de développement. Dans le dossier, l’accent est mis sur les “retombées fiscales annuelles” : les éoliennes sont d’abord une affaire financière. Calculette à la main, l’implantation de trois éoliennes va rapporter 113 213 euros de retombées fiscales : près de 18 000 euros pour la commune de Puisieux, plus de 50 000 euros pour la communauté de communes, 35 000 euros pour le département et 10 000 euros pour la région. À quelques kilomètres, le maire de Dizy-le-Gros se livre : « Dans nos communes rurales, on a très peu de moyens. L’éolien va rapporter 50 000 euros par an à la commune [pour 12 éoliennes, NDLR] , soit exactement la baisse de la dotation globale de fonctionnement qu’on a subie de la part de l’État. » Soit, on peut comprendre son envie de remplir le portefeuille de la commune. Mais, avant même de construire, il faut aussi prévoir la destruction du socle en béton de chaque éolienne… laquelle coûte près de 300 000 euros alors que les promoteurs provisionnent 50 000 euros (non consignés) dans leurs comptes.
“Si encore on payait notre électricité moins cher… ”
Plusieurs personnes s’accordent pour soupçonner des élus des villages des alentours de « s’en être mis plein les poches » . La bataille judiciaire peut commencer. L’association SOS Danger Éolien s’apprête à attaquer cinq maires qui se seraient enrichis personnellement grâce à des projets éoliens votés sur leur commune. Un peu au nord, le maire de Monchel-sur-Canche, Bertrand Cléret, agriculteur, a été condamné pour prise illégale d’intérêt. Il a perçu à titre personnel 408 878 euros pour cinq éoliennes installées sur ses terres, après avoir voté leur implantation en conseil municipal. Une victoire symbolique. « L’argent va à l’argent », s’exclame Sylvie, à Dizy-le-Gros. « Si encore on payait notre électricité moins cher… mais la facture n’a jamais été aussi élevée [les tarifs EDF ont augmenté de 7 % en 2019 et ont encore progressé de 2,4 % au 1er février 2020, NDLR] », dit-elle. L’éolien n’est pas une bonne équation économique : le coût d’une éolienne atteint en moyenne 3 millions d’euros pour une puissance de 2 mégawatts – jusqu’à 4,8 millions pour 3 mégawatts – et, par le biais de divers mécanismes de subventions (prix garanti, obligation d’achat, complément de rémunération), EDF rachète l’électricité à 80 euros le mégawattheure contre un prix de marché moyen de 45 euros. Selon la Fondation Ifrap, le coût brut de l’électricité éolienne terrestre est « deux fois supérieur à celui de la moyenne de production en France, trois fois pour le coût complet en tenant compte de son caractère intermittent et aléatoire ». Un prix exorbitant pour une production représentant seulement 1 % de la consommation électrique ! Même en couvrant la France, l’éolien ne satisferait pas notre besoin énergétique…
Certains riverains ont vu leur bien immobilier perdre entre 20 et 30 % de sa valeur
Scandale économique pour les riverains. « Et avec ça, nos maisons ne valent plus rien », lâche une habitante de Dizy-le-Gros. Il y a sept ans, un jeune couple, les Verrier, a fait construire une maison ; il n’y avait aucune éolienne derrière chez eux. Depuis, leur bien immobilier a perdu entre 20 et 30 % de sa valeur, selon l’agent immobilier local. La nuit tombe. La voiture longe un cimetière militaire. Son nom ne s’invente pas : La Désolation, où reposent 2 643 soldats français tombés au cours des batailles de Guise pendant la guerre de 1914-1918. Des éoliennes en toile de fond et un projet de huit autres est en cours. Une dernière illustration : à l’arrivée à Laon, magnifique ville fortifiée médiévale, la vue depuis les remparts, vers le nord, plonge sur des champs d’éoliennes. « Nous, les ruraux, on n’était pas grand-chose, maintenant avec cette industrialisation forcée, on n’est plus rien », conclut Valérie Bernardeau.