Le 01 Juillet 2020
Monsieur Emmanuel Macron
Association Sans Off-Shore à l’horizon Mairie du Tréport, rue François Mitterrand 76470 Le Tréport. Association Sauvegarde des Côtes d’Opale Picarde et d’Albâtre, 2 rue Sadi Carnot 80350 Mers les BainsLettre Ouverte
Le Tréport, le 1er juillet 2020
Objet : Projet de la société des Éoliennes en Mer de Dieppe le Tréport (EMDT) Monsieur le Président,
Nous avons appris par la presse fin mai qu’EMDT (Engie 31%, Sumitomo Japon 29,5%, EDPR Portugal 29,5%, Banque des Territoires 10%) a l’intention d’effectuer une nouvelle campagne de forages géotechniques dans la zone du projet en juillet et août.(1) Cette décision a été maintenue malgré l’opposition des pêcheurs et des riverains. Par la présente lettre, les signataires souhaitent appeler votre attention sur trois points :
Tout d’abord, la conciliation entre l’éolien en mer et les autres usages de l’espace maritime est dans une impasse.
La situation du projet éolien de Dieppe-Le Tréport en est une bonne illustration. Depuis 2005, soit 15 ans,(2) les pêcheurs artisans du Tréport et des ports voisins, les élus de la région et les riverains ont continuellement fait savoir, de manière raisonnée aux différents gouvernements successifs, leur opposition à l’implantation de ce site de 62 aérogénérateurs qui serait catastrophique pour la biodiversité de toute la zone. A défaut d’un véritable dialogue, les conflits d’usages relatifs à la zone de projet éolien du Tréport sont aujourd’hui intacts. Or, comme vous l’avez fort justement souligné aux assises de la mer de 2019, la résolution des conflits d’usages est un préalable indispensable au développement des énergies marines renouvelables.
Ensuite, le déploiement des énergies marines renouvelables ne peut se faire au détriment de la biodiversité.
Le site désigné pour le projet du Tréport, dont un tiers se trouve dans un parc naturel marin,(3) est la zone la plus riche en poissons et en coquillages de la Manche-Est, que les pêcheurs exploitent avec soin et de manière durable. C’est également un écosystème essentiel à toute la Manche-Est en tant que nourricerie de très nombreuses espèces et elle est décrite par les marins pêcheurs comme l’équivalent d’un grand cru en viticulture. Ces caractéristiques sont connues et ont été constatées de longue date, comme le montre le rapport scientifique conjoint des comités des pêches (4)des Hauts de France et de Normandie rendu en 2018.
Enfin, comme vous le savez, outre qu’elle fournit une partie de notre alimentation, la pêche côtière française est plus qu’une activité économique : elle est le pilier des collectivités littorales et une condition indispensable pour que les activités touristiques s’y développent.
C’est sur cette côte que Victor Hugo a opportunément comparé les pêcheurs du littoral à des laboureurs de la mer. En effet, tout comme les agriculteurs, les pêcheurs artisans entretiennent leurs zones de pêche et veillent attentivement à leurs préservations et à leurs développements. Contrairement à ce qui est suggéré, non seulement la pêche sera impossible à l’intérieur et autour du site éolien, mais sa présence altérera grandement la richesse halieutique et entrainera l’abandon de cette activité qui était redevenue pérenne. Avec la disparition de la pêche artisanale, toute l’économie qui en dépend, criées, mareyeurs, restaurateurs en pâtirait impactant en même temps le tourisme et l’activité des cités balnéaires de la région, doublement concernées par l’impact paysager désastreux de ce site industriel à proximité immédiate du littoral classé (5) « Grand Site de France » de la Baie de Somme et des villes touristiques (6)du Crotoy à Dieppe. La promesse de création de 750 emplois par Siemens au Havre ne pourra jamais compenser la perte directe de ceux de la pêche artisanale Normande et des Hauts de France, du tourisme, du commerce. Cette usine de 140 millions d’euros, financée par les contribuables, n’est même pas encore construite que le groupe Siemens, sur qui repose ce projet industriel au Havre met en vente le 28 septembre prochain, 55% de sa filiale Siemens Energy (2 sites en France St Denis et Grenoble) comprenant son pôle éolien (7), avant d’opérer de « nouvelles réductions (8)significatives » de sa participation dans un délai entre « 12 et 18 mois ». L’observatoire des emplois de la pêche fait apparaître 2640 emplois (9) en Normandie auxquels viennent s’ajouter les pêcheurs des Hauts de France et de Bretagne, travaillant aussi dans leur zone et d’après le comité national de la pêche, « un emploi en mer, à la pêche, génère environ 3 emplois à terre (10), tant dans la filière amont que la filière aval. Ces emplois induits couvrent aussi bien les secteurs de la construction navale, de l’équipement des navires et des marins, que la commercialisation et la transformation des produits de la pêche ». La pêche côtière est également une des garanties de notre indépendance alimentaire. Or, la pêche côtière française, après avoir été mise à l’arrêt par l’épidémie du COVID, fait maintenant face à la perspective d’un Brexit par défaut. La flotte de pêche s’y prépare mais il est indispensable de prendre acte d’une part d’une division par deux de l’espace de pêche en Manche dans quelques mois et d’autre part du report inévitable de l’effort de pêche dans les eaux françaises qui en résulterait.
Le 14 janvier dernier, vous avez déclaré: (11)« Le consensus sur l’éolien est nettement en train de s’affaiblir dans notre pays. […] De plus en plus de gens […], qui considèrent que leur paysage est dégradé, ne veulent plus voir de l’éolien près de chez eux. Il ne faut pas l’imposer d’en haut ». Cette remarque s’applique totalement aux citoyens, élus, représentants de la pêche et du tourisme de notre région qui savent que ce projet est contraire à leur intérêt, que son opportunité est douteuse(12) en terme de politique environnementale et que son coût de 131€/MWh prévu pour le projet du Tréport est exorbitant.(13)
Vous avez, Monsieur le Président, le pouvoir d’en supprimer les conséquences en décidant d’annuler ce projet situé sur le territoire français, comme vous avez su le faire pour l’aéroport de notre Dame des Landes.
Pour toutes les raisons évoquées, dans l’intérêt de leur région, les signataires vous font part de leur demande :
-de report de la campagne géotechnique prévue aux mois de juillet et août prochain pour ne pas perturber davantage le travail des pêcheurs qui ont déjà été très affectés cette année par les tempêtes puis l’épidémie du COVID,
-d’annulation définitive du projet de la société des Éoliennes en mer de Dieppe le Tréport qui s’il se réalisait, affaiblirait encore davantage notre tissus économique et social.
Recevez, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération,
Xavier BERTRAND, Président de la Région Hauts de France – Emmanuel MAQUET, Député de la Somme – Sébastien JUMEL, Député de la Seine Maritime – Nicolas LANGLOIS, Maire de Dieppe – Alain TROUESSIN, Maire de Criel – Laurent JACQUES, Maire du Tréport – Stéphane HAUSSOULIER, Président du Syndicat Mixte Baie de Somme Grand Littoral Picard, Maire de Saint Valery sur Somme – Michel DELÉPINE, Maire de Mers les Bains – Marcel LEMOIGNE, Maire de Ault – Jean Paul LECOMTE, Maire de Cayeux sur mer – Philippe EVRAUD, Maire du Crotoy – Olivier LEPRETRE, Président du Comité Régional des Pêches et des Élevages Marins des Hauts de France – Olivier BECQUET, Gérant de la Coopérative des Artisans Pêcheurs Associés du Tréport – William DEVISMES Président du Syndicat National des Marins Pêcheurs CFTC – Guy de BOIVILLE, Sites & Monuments – délégation de la Somme – Gérard BILLON, Président Association Sans Off-Shore à l’horizon – Georges CLÉMENT, Président Association Sauvegarde des Côtes d’Opale Picarde et d’Albâtre Philippe SERRE, Président de l’association Yères & Bresles