L’éolien français exposé aux critiques
Des élus réclament la mise en place d’un moratoire à l’installation de nouvelles machines. Le gouvernement promet un développement plus équilibré sur le territoire.
« Trop c’est trop. Chez moi, dans le Cambrésis, de quelque côté que je me tourne, je ne vois et entends que des éoliennes. Les gens ont du mal à dormir et beaucoup de maisons ont perdu de la valeur. » Le député UDI du Nord Guy Bricout ne mâche pas ses mots pour dénoncer « la trop grande concentration » de ces machines dans les Hauts-de-France, où se trouve un quart de la puissance du parc français.
« 1 500 éoliennes sont déjà en place dans ma région, 800 ont été autorisées et non encore construites, et 733 projets sont en cours d’instruction. C’est fou ! », s’exclamait l’élu, mardi 3 décembre, en interpellant à l’Assemblée la secrétaire d’État à la transition écologique, Emmanuelle Wargon. « J’ai été applaudi par les députés de circonscriptions rurales, de tous les bords politiques. Mais ceux des villes n’ont pas bronché, car ils ne comprennent pas le problème », raconte Guy Bricout.
En réponse, la secrétaire d’État s’est engagée à mettre en place un « groupe de travail sur le développement équilibré de l’énergie éolienne », en précisant qu’il devrait traiter « de la répartition territoriale, mais aussi du démantèlement et de l’insertion paysagère » des machines.
Les affaires ne traînent pas. Une réunion s’est déjà tenue au ministère, mercredi 18 décembre, et des premières mesures ont déjà été annoncées « pour renforcer l’acceptabilité de l’énergie éolienne » avec, par exemple, une réduction de la pollution lumineuse. Les balises en haut des mâts ne clignoteront plus en permanence, mais uniquement à l’approche des avions. Un nouveau protocole de mesure du bruit va également être mis en place.
Surtout, le groupe de travail va se pencher dans les prochaines semaines sur la manière de « mieux répartir les projets éoliens sur le territoire ». « Plusieurs pistes sont sur la table, comme la mise en place d’un système de bonus-malus en fonction des régions d’implantation ou la mise en place de quotas par zone géographique », assure Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Les propositions sont attendues pour le printemps 2020.
Mais il n’est pas sûr, toutefois, que cela suffise à calmer la colère des opposants. « Si c’est pour installer des éoliennes là où il n’y a pas de vent, cela ne sert à rien, sinon à enrichir un peu plus les développeurs de projets qui cherchent à obtenir des prix de l’électricité plus élevés », affirme Daniel Steinbach, président de l’association Vent de colère.
Les présidents des départements de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vienne (soit le périmètre de l’ex-région Poitou-Charentes) viennent de demander un moratoire à l’installation de nouvelles éoliennes sur leur territoire. En mars, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, avait déjà demandé la même chose.
« Nous ne sommes pas opposés à l’éolien, mais nous sommes contre les excès d’éolien et les méthodes de certains promoteurs qui promettent n’importe quoi, notamment des retombées financières », affirme Dominique Bussereau, l’actuel président du conseil départemental de Charente-Maritime et de l’association des départements de France (ADF).
Selon lui, le détonateur de la colère des élus a été le projet d’EDF d’ériger une quarantaine d’éoliennes de 150 à 200 mètres de hauteur dans l’estuaire de la Gironde, « le plus grand estuaire naturel européen que l’on protège depuis vingt ans », souligne-t-il en évoquant la réaction hostile de la population et de nombreuses associations. Une fois n’est pas coutume, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et les chasseurs font même cause commune sur le sujet.
La question de l’implantation des éoliennes sur le territoire va être « un thème important des prochaines élections municipales dans le monde rural », estime Dominique Bussereau. C’est ce qui expliquerait, selon lui, que le gouvernement s’empare maintenant du sujet. « Il y a une prise de conscience des politiques que le mitage du territoire n’est pas la bonne solution et que les éoliennes ne sont pas si vertes que cela », explique de son côté Xavier Batut, député LREM de Seine-Maritime, qui plaide pour des « référendums dans les communes concernées ».
Il a tenté de faire passer un amendement, mercredi 18 décembre, pour imposer des règles de recyclage des éoliennes. En vain. « Sur le littoral on est en train de refaire des fondations de blockhaus, avec du béton et de la ferraille sur 10 à 15 mètres de profondeur », affirme-t-il.
À France énergie éolienne (FEE), le syndicat de la profession, on affiche néanmoins une certaine sérénité. « Les associations continuent de faire de la désinformation et de jouer sur les peurs des gens. La nouveauté est que l’éolien est devenu un enjeu politique pour certains élus qui parlent un peu plus fort en ce moment », assure Pauline Le Bertre, la déléguée générale de FEE.
Le département de l’Allier a ainsi voté une délibération en octobre demandant au législateur d’interdire toute nouvelle implantation, si elle ne se trouve pas « à une distance au moins égale à dix fois la hauteur de la structure, pales comprises ». Cela fait au moins deux kilomètres, contre 500 mètres dans le cadre juridique actuel.
« L’éolien s’est peu à peu imposé comme le symbole du divorce entre une stratégie nationale parisienne et une mise en application complexe dans une ruralité échaudée, un peu à l’image des portiques de l’écotaxe », rappelle Julien Aubert, président de la Commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables, dont le rapport très critique a été publié en juillet.
« C’est simplement une question de générations. Nos grands-parents se sont battus contre les châteaux d’eau et nos parents contre les pylônes à haute tension. Nos enfants vivront sans problème avec les éoliennes », rétorque Éric Scotto, le président d’Akuo Energy, un des pionniers du secteur.
En attendant, 70 % environ des projets font l’objet d’un recours, une part qui ne varie guère depuis des années. « Ce n’est pas la preuve d’une contestation importante de l’éolien mais de l’organisation très professionnelle des opposants », estime Jean-Louis Bal, en rappelant que « 95 % de ces recours sont rejetés ». Depuis un an, pour accélérer les procédures d’installation, les recours doivent être déposés directement en cour d’appel, et non devant le tribunal administratif de première instance.
Selon les professionnels, la concentration de l’éolien dans certaines zones est aussi liée au fait que 47 % du territoire lui est interdit, en raison notamment de la présence des radars pour l’armée, la météo ou l’aviation civile. Et, malgré ses promesses, l’État n’a guère fait d’efforts jusqu’à présent pour libérer de l’espace.
Les perspectives affichées dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vont aussi continuer à échauffer les esprits. Dans l’éolien terrestre, l’objectif est de passer de 15 GW de puissance actuellement installés (soit environ 8 000 machines) à 35 GW environ en 2028, soit un total de 13 000 à 15 000 machines, selon le SER, qui seront beaucoup plus grandes pour la plupart. Aujourd’hui, certaines dépassent déjà 200 mètres de haut et approchent 150 mètres d’envergure.
Cette course au gigantisme ne masque pas pour autant les problèmes d’intermittence de l’éolien, affirme ses contempteurs. Le 14 mars 2019 à 14 h 30, il a couvert 18 % de la consommation française d’électricité avec 12 323 MW, un record.
Mais le 5 décembre à 12 heures, la production n’était que de 691 MW, soit moins de 1 % des besoins, obligeant la France à recourir aux importations. Selon Julien Aubert, la facture du soutien public à l’éolien, d’ici à 2028, serait ainsi comprise entre 72 et 90 milliards d’euros pour une filière appelée à représenter alors « 15 % au maximum de la production électrique ».